Une certaine idée de la guerre (2/4)

L’incompréhension

 

Jacques Henri Lartigue ne vit pas la guerre, il pose un regard dessus. Et c’est un regard qui dérange, par le décalage entre ce qu’il imagine être la guerre et les horreurs de la réalité.

Jacques n’a jamais été à l’école : ses professeurs venaient lui faire cours chez lui. Il n’a ainsi jamais été confronté à la propagande belliciste et revancharde en œuvre dans les écoles de la 3e République. Cela explique peut-être en partie la difficulté qu’il a à comprendre et évoquer une guerre qui n’a jamais fait partie de son quotidien. Cette incapacité à intégrer la guerre dans sa vie de tous les jours se traduit par la place qu’elle prend au sein du journal : presque toujours reléguée en bas de page, sauf lorsqu’elle concerne directement Jacques ou son frère Zissou, notamment au moment où se pose la question de leur enrôlement. La présence de la guerre prend généralement la forme de commentaires simplistes, qui témoignent d’une grande méconnaissance des stratégies et enjeux militaires et géopolitiques de son époque. Il écrit par exemple le 10 août 1914 : « Les Français continuent d’avancer en Alsace !!! (Bravo !!) Liège résiste toujours !!! (Bravo !!) La Serbie est toujours victorieuse de l’Autriche !!! (Bravo !!) » Lorsque Jacques Henri Lartigue n’a pas de nouvelles de la guerre, il écrit tout simplement « Rien de nouveau » ; cette formule lapidaire, qui semble se faire l’écho d’une idée de la guerre bien plus que de la guerre elle-même, contraste ironiquement avec la réalité de la vie des soldats sur le front.

Dans l’album de 1914, la guerre prend une part infime, se résumant souvent à des images héroïques : hommage à son ami Oléo tué le 13 août, photographies de sa mère en infirmière…